Il y a très longtemps, un Pharaon régnait avec justice sur le pays d’Egypte, mais malgré ses grandes vertus, il voyait son peuple se corrompre peu à peu et se dévoyer. Partout, dans le pays, le frère contre le frère se dressait, et l’ami contre l’ami. L’on assistait à d’effroyables effusions de sang et à des actes de barbarie innommables.
Le Pharaon en éprouva une grande tristesse et il voulut se retirer du monde. Il ne voulait pas mourir, non, il voulait rester en vie. Il souhaitait simplement dormir très longtemps d’un profond sommeil.
Il convoqua les prêtres et les mages de tout son royaume et il leur dit qu'il voulait dormir mille ans. Les prêtres et les mages mirent leurs connaissances en médecine et en magie en commun, et ils annoncèrent au Pharaon qu’ils étaient prêts.
Le Pharaon dut jeûner plusieurs jours durant pour purifier son corps, il lui fallut prendre un bain d’eau parfumée, les prêtres et les mages lui firent boire un breuvage au goût âcre et s’étendre sur une couche, puis, en récitant des prières aux dieux égyptiens, ils lui firent respirer des fumées de plantes qui brûlaient dans un encensoir.
Le breuvage et la fumée des plantes plongèrent bientôt le Pharaon dans un sommeil profond. Ce n’était pas un sommeil ordinaire ; ses fonctions vitales étaient ralenties au point qu’on l’aurait cru mort, mais il ne l’était pas. Sa respiration était réduite à une inspiration et une expiration par nouvelle lune. Il en était de même pour son cœur, qui battait au même rythme : un coup par nouvelle lune. Son teint n’était pas devenu pâle, et si son corps n’avait plus sa chaleur habituelle, il n’était ni glacé ni rigide comme celui d’un cadavre.
Les prêtres et les mages l’étendirent dans un sarcophage de marbre tapissé de coussins de velours pour le rendre plus confortable, ils le refermèrent avec un couvercle à l’effigie du Pharaon, ensuite, ils placèrent le sarcophage dans un lieu souterrain dont l’emplacement fut tenu secret.
Les prêtres et les mages d’Egypte avaient endormi le Pharaon pour mille ans, tel qu’il l’avait demandé. À mille années de là, selon les instructions inscrites sur les parois du souterrain, d’autres prêtres et d’autres mages devaient se charger de le réveiller.
Seulement, tout ne se passa pas comme prévu. Peu de temps après que le Pharaon se fut endormi, l’Egypte fut razziée par des barbares. Les égyptiens parvinrent à les chasser, mais il en vint d’autres qui dévastèrent le pays, qui furent chassés à leur tour et ainsi de suite pendant des siècles et des siècles.
Aussi, le Pharaon dormit il bien plus de mille ans, blotti dans son berceau de pierre, à l’abri des vicissitudes du monde qui l’avait oublié.
À son réveil, ce monde avait complètement changé. Quand il ouvrit les yeux, il vit une plaque devant son visage, faite d’une matière translucide qui rappelait le cristal, au travers de laquelle brillait une intense lumière blanche, et il entendait un bruit qui ressemblait au cri d’une bête étrange.
Soudain, la plaque de matière translucide s’ouvrit comme un couvercle, et il vit un homme de métal se pencher sur lui, il avait des yeux de cristal qui émettaient un étrange bourdonnement.
La mémoire lui revint ; le bruit qu’il prenait pour le cri d’une bête était celui du sirène d’alarme, qui s’était déclenchée suite à son réveil inattendu, quant à l’homme de métal, il s’agissait simplement d’un robot du vaisseau spatial Le Pharaon qui faisait route vers le système de Bételgeuse.
Avec ses compagnons, il avait été mis en état d’animation suspendue, car le voyage devait durer plusieurs siècles, malgré la vitesse ultra-luminique à laquelle ils se déplaçaient. Il était allongé aux côtés des autres qui dormaient toujours dans son caisson d’hibernation. Lui seul, pour quelque raison inconnue, s’était réveillé avant terme.
Le robot s’adressa à lui d’un ton courtois : « Y a-t-il un problème, monsieur ? » « Bien sûr, qu’il y a un problème ! » répondit l’homme avec irritation, « pourquoi me suis-je réveillé avant tout le monde ? »
« Je ne sais pas, monsieur, peut être votre organisme a-t-il développé une résistance à l’hypéziapine, ou bien une mauvaise tolérance à la cortizoïne que je… »
« Épargne moi ton charabia pharmaceutique. Depuis combien de temps avons nous quitté la terre ? »
« Mille deux cent cinquante six ans, quatre mois, douze heures et quarante sept minutes. »
« Bien, et combien de temps encore, avant d’arriver dans le système de Bételgeuse ? »
« A peu près autant, monsieur. »
« Je vois, si je reste éveillé, je risque de m’ennuyer ferme. Rendors moi, s’il te plaît, et cette fois ci, veille à ce que je me réveille plus avant la fin du voyage. »
« Entendu, monsieur. » Répondit le robot, en lui injectant une solution chimique avec une seringue à compression.
L’homme sentit le délicieux sommeil l’envahir à nouveau, et il replongea dans ses rêves bien aimés d'où il avait été arraché.
Depuis bien des siècles, le Pharaon dort, quelque part sous les sables d’Egypte. Si, par hasard, vous découvrez la salle souterraine où il repose, ne le réveillez pas. Ne réveillez pas ce bienheureux !
***
Ne réveillez pas ce bienheureux !